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la situation des personnes âgées en Centrafrique

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Atelier culturel a Bimbo
Atelier culturel a Bimbo

Dans le cadre de ses activités d’encadrement juridique, social et matériel des personnes vulnérables et à risques qui sont : les personnes en détention, les minorités ethniques, les jeunes filles déscolarisées, et les orphelins, l’ONG Femme Action et développement en Centrafrique- FADEC- a initié, avec l’aide de ses partenaires au développement, des projets d’alphabétisation des détenues de la Maison d’arrêt de Bimbo, en vue de leur réinsertion socioprofessionnelle post-carcérale. Lors de leur multiple visite dans cette prison pour femmes, les membres de la FADEC ont constaté deux faits importants : 1) une forte majorité de la population carcérale était du troisième âge ; 2) elle est en détention pour accusation de pratique de charlatanisme et de sorcellerie ; 3) elle est abandonnée en prison sans projet de retour dans la communauté d’origine. La détresse psychologique et mentale de ces personnes nous a incité à mener une petite enquête auprès de cette tranche de la population, dans leur communauté d’origine et en milieu carcéral. Nos investigations nous ont permis de faire le parallèle entre instabilité politique et la dégradation du niveau de vie, entre la paupérisation galopante de la population et l’augmentation des accusations de sorcellerie.
Dans une Afrique qui s’occidentalise de plus en plus, la situation des personnes âgées mérite qu’on s’y attarde. Ces vieux qui jadis, faisaient la fierté de nos villages et de nos familles car ils détenaient le savoir, et le savoir faire, les secrets de la culture et incarnaient les valeurs qui sont inhérentes à notre civilisation africaine, sont aujourd’hui méprisées, conspués, vilipendés et bannis de la société. L’écrivain Amadou HAMPATE BA « CHAQUE VIEUX QUI MEURT EST UNE BIBLIOTHEQUE QUI BRULE ». Or nous le savons bien, notre culture est basée sur l’oralité. Ces personnes âgées qui disparaissent, emportent avec eux une richesse culturelle inestimable que nous avons intérêt à préserver pour les générations futures.

Contexte sociopolitique et économique du pays

Avec une population avoisinant les 4 millions d’habitants, la RCA fait partie des pays à faibles revenus avec 67% de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté et à une économie en constante baisse depuis plusieurs années. L’espérance de vie y est très faible, avoisinant les 42 ans.
Depuis plusieurs dizaines d’années, la RCA est régulièrement secouée par des tentatives de coups d’état, rébellions, mutineries, conflits armés et pillages qui ont précipité une crise économique sans précédent. La rébellion s’est d’abord installée dans le nord du pays et le gouvernement a éprouvé de grandes difficultés à retrouver le contrôle de ces zones. Ces vagues de rébellions ont causé des déplacements importants de populations, estimés à environ 192 000 pour ce qui concerne les personnes déplacées internes et à 130 000 réfugiés centrafricains au Tchad, Cameroun et RDC. Les populations déplacées internes ainsi que celles qui les ont accueillies, vivent une situation de grande précarité, victimes de graves violations de leurs droits.
Les violations des droits des populations civiles sont perpétrées sous différentes formes et par des auteurs les plus divers. Nous avons des forces de sécurité et de défense nationales, des groupes rebelles, de groupes armés étrangers faisant incursion sur le territoire centrafricain (les Tchadiens au Nord et les éléments de la LRA au Sud Est), des groupes d’autodéfense, des coupeurs de route, des braconniers. Ensuite, nous avons les différentes communautés à travers des conflits interethniques et des conflits interreligieux. Ces différents acteurs sont à l’origine de conflits, d’incendies systématiques et de pillages de villages, d’assassinats et de tueries, d´exécutions sommaires et extrajudiciaires, de disparitions, d´enlèvements et de recrutements forcés y compris de recrutement d’enfants, de travail forcé, de rançonnement et d’extorsion de biens.
Le phénomène des violences sexuelles et basées sur le genre, caractérisées par des viols, agressions physiques, harcèlement sexuel, mariage précoce, exploitation sexuelle, la pandémie du Sida-VIH restent une préoccupation pour les membres de la société civile, à l’instar de la FADEC, qui cherchent à mieux coordonner leurs activités et à arriver à une stratégie nationale de lutte contre les violences qui soit claire.
A ces violations de Droit, on peut associer la destruction des infrastructures sanitaires, socioéconomiques et judiciaires. La situation sanitaire du pays reste préoccupante, comme l’indique l’espérance de vie très basse, avec un fort taux de mortalité, surtout en ce qui concerne la mortalité maternelle et infantile. La situation socioéconomique n’en n’est pas moins préoccupante. Les coupeurs de route sillonnent les axes routiers de l’ouest et pillent les convois alimentaires en provenance du Cameroun et rançonnent les éleveurs, ce qui renforce l’insécurité alimentaires. Le chômage fait de ravages parmi la population jeune et diplômée.
Dans cette situation généralisée de crise, on a vite fait de trouver une explication : la sorcellerie en serait la cause. Et les responsables sont toutes désignées ; il s’agit des femmes généralement, et particulièrement celles d’un âge avancé. Ces personnes vivant dans la pauvreté, diminuées physiquement, isolées, incapables de se défendre, seraient à l’origine de tous les malheurs ; pauvreté, maladies, chômage, mort… En Afrique tous les phénomènes s’explique par l’inexplicable, la paranormal, l’irrationalité.

Le traitement réservé aux personnes accusées de PCS et ses conséquences

Sur le plan socioculturel, la société africaine traditionnelle, longtemps enviée de l’extérieur pour son esprit de solidarité et le respect voué aux personnes âgées, images de la sagesse, est en pleine mutation avec l’émergence d’un phénomène qui n’est pas réellement nouveau mais qui tend à devenir une préoccupation nationale. Il s’agit du phénomène de « mangeurs d’âmes » ou sorciers qui bien que concernant les deux sexes, est plus centré sur les femmes, en particulier les vieilles femmes, accusées de pratique de charlatanisme et de sorcellerie.
La Centrafrique est un pays où le taux de prévalence du VIH sida est l’un des plus élevé d’Afrique. D’après une enquête de l’OMS, l’armée centrafricaine serait composée de 70% de malade de Sida. A cause de l’inexistence des infrastructures sanitaires, l’absence de formation et d’information, les maladies endémiques et pandémiques font les ravages dans toutes les souches de la population mais les accusations s’orientent du coté des personnes âgées.
Malgré l’existence de textes juridiques condamnant la pratique du charlatanisme et de sorcellerie et infligeant une peine de prison aux personnes pour lesquelles la preuve de ces pratiques serait avérée, la vindicte populaire reste la solution appliquée tant par les populations que par les autorités locales, administratives, des forces de l’ordre sensées faire respecter le Droit, et faisant preuve d’une certaine impunité contre les auteurs de violences sur les personnes accusées de sorcellerie.

Traitement inhumain, cruel et dégradant

Un peu partout en RCA ce phénomène prend de l’ampleur et les différents rapports font état de violences diverses à l’encontre des personnes accusées de sorcellerie : lynchages populaires, coups et blessures, tortures, personnes enterrées ou brûlées vives, bastonnades, et autres actes de tortures et de barbarie, sont des situations qui deviennent banales. Le poids de la tradition est une des causes de la peur de la sorcellerie qui est très ancrée dans la conscience collective. Même les autorités traditionnelles, politiques, administratives et surtout les intellectuels, adhèrent à ces croyances et n’hésitent pas à être parti des accusateurs et auteurs des mauvais traitements. Peu de gens ont conscience que cette pratique est une grave atteinte aux droits de l’Homme, attribuant ces violences à la coutume.
Dans les politiques de lutte contre les violences faites aux femmes, on parle régulièrement des mutilations génitales féminines, des violences conjugales et toutes autres formes de violence et l’on occulte sciemment ou inconsciemment le cas des femmes accusées de sorcellerie.
Le phénomène touche toutes les zones du pays, il semble qu’il soit plus récurent à la campagne qu’à la ville et que la tranche de la population la plus pauvre soit la plus touchée. En effet, la pauvreté, le manque de nutrition qui peut être à l’origine des changements de l’aspect physique, et de l’apparence des personnes accusées, y sont sûrement pour quelque chose, car il est rare de voir une personne issue d’une famille aisée être accusée de sorcellerie.
« Vous n’entendrez jamais que la femme ou la mère d’une autorité ou d’un grand commerçant a été accusée de sorcellerie. Ce sont les vielles sans défense que la société a fini d’exploiter qui paient le plus lourd tribut ».
En d’autres termes, quand la misère frappe à la porte et que les malheurs s’accumulent, les accusations de sorcellerie augmentent
L’espérance de vie limitée et le nombre de décès élevés du fait de problèmes de santé graves, ou d’urgences médicales non assumées, faute de structures adéquates, font chercher les causes des décès dans des croyances populaires, d’autant plus qu’elles sont confirmées la plupart du temps par des marabouts, guérisseurs ou féticheurs, ou autres « ngangas» qui jouent un rôle déterminant dans les accusations.
Bannissement et mise en quarantaine
Tout le monde accuse : les membres de familles, voisins ou inconnus, mais encore de personnes devant assurer le respect des droits et devoirs de chacun. L’impunité sévit, d’autant plus que le système judiciaire connaît quelques défaillances et insuffisances à bien des endroits, rendant quasi-impossible le respect du droit et l’application de la loi.

Dans une localité située au nord du pays, trois femmes âgées ont été battues à mort, à la place publique, devant le Maire de la localité qui a demandé la levée du drapeau centrafricain, ensuite aspergées de pétrole et puis brûlées. Ni Le Maire, ni ses adjoints, n’ont jamais été inquiétés.
Les personnes ainsi violentées sont stigmatisées, ensuite bannies de la communauté et chassées du village, condamnées à une vie d’errance. Dans le centre commercial (Lakouanga, Sica I et II, 36 villas, 200 villas) et le centre administratif de la ville de Bangui, nous croissons souvent ces personnes âgées qui mendient et demandent la pitance, ployant sous le poids de l’âge, des meurtrissures, nous les prenons souvent pour des folles. Non. Elles ne le sont pas. Ces personnes ont dû abandonner leurs foyers, leurs familles, leurs villages pour échapper à une mort certaine. Elles errent à travers les artères de la ville à la recherche de la nourriture. Elles risquent de rester mendiantes jusqu’à la fin de leur vie car elles ne bénéficient d’aucune assistance.
Aucune structure n’existe sur place pour les accueillir. Certaines se réfugient auprès des sœurs religieuses, dans les localités ou celles-ci ont des installations prévues pour la prière de groupe. Celles qui n’ont pas cette chance meurent d’épuisement et de faim. D’autres se suicident ou sont retrouvées par les hommes qui les traquent même dans les villes. Tuées dans ces conditions, auront-elles droit à une sépulture décente ?
Le ministère des affaires sociales et familiales ne se préoccupe pas de ces cas. D’autres se retrouvent derrière les barreaux, pour une durée illimitée.

La prison comme asile

Les plus chanceuses se retrouvent en prison ou elles ont au moins un toit et à manger. Pour échapper au lynchage, la prison constitue pour elles un abri, un refuge.
Nous avons rencontré à la Maison d’arrêt de Bimbo, quatre femmes venant de la région de Sebokele.
Membres d’une même famille, elles sont enfermées depuis octobre 2010. Elles viennent de Sebokele, une localité à quelques kilomètres de Bangui. Claire, Marie, Georgine et Pauline ; elles ont entre 75 et 85 ans. La doyenne, Madame Claire a été sauvagement molestée et présente une fracture sévère du bras droit.
Motif : son fils, un jeune d’une vingtaine d’années a une plaie inguérissable au pied. Le diagnostic du féticheur fut état de ce que sa maman lui aurait mangé le pied avec la complicité des 3 autres (des belles –sœurs). Déférée à Bangui, elle ne bénéficie d’aucun soin et souffre atrocement au bras.
Seule Marie reçoit la visite de sa fille (deux fois en 3 mois). Georgine a fait une tentative de suicide. La responsable du service social de la maison d’arrêt de Bimbo, voyant cela, a saisi le Directeur de l’administration pénitentiaire pour leur relaxe pur et simple. Croyant bien faire. Quant on leur a annoncé qu’elles pourront être libre de rentrer chez elles, elles ont catégoriquement refusé de rentrer à Sebokele : « Mon enfant ! Mon enfant ! Rentrer ou ? JAMAIS ! Où allons-nous dormir ? Qu’allons- nous devenir ? Nous préférons rester ici ».

L’ONG FADEC a initié un projet dans la Maison d’arrêt de Bimbo. Elle organise des séances d’alphabétisation pour les détenues, les initie à la création des activités génératrices de revenus par la formation sur les petits métiers, en vue de préparer leur réinsertion sociale et professionnelle post carcérale. Elle a ouvert une cellule de causerie pour leur soutien psychologique.
Les femmes du 3ème âge constituent 60% du personnel féminin en détention. Elles sont accusées de pratiques de charlatanisme et de sorcellerie – PCS – Le point de départ de l’accusation est la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouve la victime présumée (mort de ses enfants, veuvage, comportement associal, extrême pauvreté). Elles dépendent de l’administration pénitentiaire pour leur survie.
Dans cet univers, elles font face à d’autres défi, tous aussi dangereux. Les conditions de détention sont déplorables : apport nutritionnel insuffisant, car l’Eta, à travers l’administration pénitentiaire qui a en charge les prisons, éprouve des difficultés réelles pour assurer le bien être de personnes incarcérées et le abandonne à la merci des associations humanitaires. L’absence de formation sanitaire, la surpopulation, l’insalubrité (absence d’eau courante et potable, manque de produits d’entretien pour laver les vêtements, et les installations sanitaires) entrainent la propagation des maladies telles la vermine, la gale, les mycoses vaginales. Celles qui entrent à Bimbo avec des lésions sur le coup suite au lynchage, meurent souvent faute de suivi.
Même en milieu carcéral, elles sont objet de brimade de toute sorte de la part des autres pensionnaires et du personnel d’encadrement.

Indifférence générale et complicité de la population

Quant aux relations sociales, elles sont quasi inexistantes. Ces personnes bannies de la société ne reçoivent pas de visites. Les liens avec leurs familles sont coupés. Le manque de moyens financiers ne favorise pas la communication avec l’extérieur. Malgré ces conditions déplorables, les détenues ont peur de se retrouver libres, à nouveau face à la société, et aux difficultés de survie (logement, nutrition…) et il n’est pas rare de voir certaines d’entre elles refuser la sortie par peur de l’extérieur.
L’avenir incertain, la mise en quarantaine, l’exclusion, l’abandon de communauté, faisant suite aux traitements inhumains, cruels, dégradants et humiliants, sont causes de traumatismes avérés, d’un manque de repères, entraînant déchéance physique, morale, sociale et psychologique qui se ressentent dans le quotidien.
Le laxisme des pouvoirs publics, incite à la relaxe des auteurs de violences sur les accusées, qui restent la plupart du temps impunis. Ces violences subies par les personnes accusées, liées à ces conditions de détention et la dégradation de leurs conditions de vie, imposent une série d’action en termes de réponse de protection, pour l’amélioration des conditions que l’on peut qualifié d’inhumaines.
Regroupement familiale comme un impératif de l’ONG FADEC
L’heure est venue de nous débarrasser de notre peur et de rompre le silence pour manifester publiquement notre rejet de toutes les formes de violences faites aux femmes et en particulier, des violences et de l’exclusion sociale du fait de la sorcellerie. Car, contre l’injustice, si nous ne faisons rien, nous serons complices de tous ces méfaits.
Dans son projet de réinsertion socioprofessionnelle post carcéral des détenues, les personnes du 3ème âge n’ont pas pu participer car n’ayant plus de perspectives d’avenir sur le plan professionnel. Par contre, avec l’aide de l’administration pénitentiaire, la FADEC a entrepris de démarches auprès des familles des détenues. Tache vraiment ardue, la plupart d’entre elles viennent des contrées éloignées de Bangui et les moyens de communication sont difficiles. Cependant, pour celles dont les membres de la famille sont à Bangui, le contact a été pris et dans les jours prochains, des rencontres sont prévus au sein de la maison d’arrêt.
Notre souhait à tous est que ces femmes puissent réintégrer leur communauté, leur village, et renouer des liens d’affection avec leurs parents. Qu’elles retrouvent un peu de dignité humaine.

Yvette DOUME BANLOG
15 mars 2012 à Bangui

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